La Tragédie du Potager

L’autre jour, en écumant l’actualité, je suis tombé sur cet article du Point.fr qui, dès la lecture de son titre, m’a décroché un petit éclat de rire:

« Conscient malgré un état végétatif: un cas qui n’est pas rare »

Alors oui, en soi ce n’est pas censé être drôle l’histoire de ce pauvre bonhomme qui se retrouve cloué au lit par des médecins trop pressés (et belges en plus, la guigne). Ce qui est drôle en revanche, c’est le fait qu’apparemment le cas ne soit pas une exception et que dans nos contrées on trouverait de nombreux spécimens de crypto-légumes qui essayent de nous la jouer fine en nous faisant croire qu’ils sont morts, ou au contraire qu’ils sont encore conscients (oui, pour la bonne foi vous repasserez).

Eh, Franz, pour qui tu nous prends? Nous aussi on regarde « Le Petit Journal », si tu veux taper sur les retraités, fais le franchement. Nous aussi on les a vues les images du Chirac en promenade de santé dominicale à Bordeaux, chez son ancien repose-pieds.

Il faut dire que ce bon vieux Jacques, malgré toute l’affection qu’on peut lui porter, illustre parfaitement le titre de l’article: on se doute qu’il a la tête quelque part, mais on sait qu’elle n’est pas dans l’angle de la caméra. Jacques observe le paysage, plisse les yeux quand la brise bordelaise lui caresse le visage, plaisante sur la brioche de ses petits camarades… Le parfait petit vieux. A chaque plan on s’attendait à voir débouler Monique (mais si, vous savez, la responsable de la sécurité des patients du pavillon E de la Maison de Repos des Tilleuls, celle qui pue la Gitane Maïs et qui vous parle à la troisième personne), furax, avec une bouteille de Teralène, des pilules de Tertian et une couverture en Tweed de mauvais goût pour recouvrir les épaules de ce pauvre homme (juste avant de le traiter de vieux con, bien entendu).

Vous me direz que c’est normal après un AVC et deux ans de retraite passés en compagnie d’un clébard dépressif, mais elle est là la tragédie. C’est celle de voir l’homme qui a (réussi à) diriger la France (en se faisant rincer par le contribuable et en vendant des armes en Afrique tout en restant un modèle de bonhommie) clopiner le bassin en avant, parler au ralenti et ne pas écouter un mot de ce que vous lui racontez, probablement car il est perdu dans une rêverie impliquant de la bière, des journalistes du Figaro à poil, et de la tête de veau (ben oui, on pouvait pas la louper celle là). C’est sûr qu’aujourd’hui ça en jetterait beaucoup moins de le voir se balader cul-nu au Fort de Brégançon…

Mais bon, ça pourrait être pire, il pourrait essayer de nous faire croire qu’il a réussi à choper une princesse.

Attendez, on me signale dans l’oreillette que l’article du Point.fr aurait en fait été publié en relation avec le rejet à l’Assemblée du projet de loi sur l’euthanasie proposé par les Socialistes, et non pas pour se moquer à couvert de l’ancien Président. Au temps pour moi, je suis étourdi parfois…

Mais ça ne change rien au faits. Cette tragédie elle nous touche tous, et c’est la jeune génération qui est la plus concernée. On a tous été exposés à un moment ou à un autre à un vieux tordu de la famille, à deux doigts de claquer, aux cotés d’un parent qui vous dit:

« Tu vois, ça c’est ton Oncle Aristide! Il a combattu les allemands pendant la guerre, il a connu Jean Moulin et il a même serré la main du Général à la Libération!

-Mais pourquoi il bave?

-Eeeuuuh…

Pour moi c’était une grande-tante de Tunisie. Une véritable abomination qui hante encore parfois mes nuits et qui me fait me réveiller en sueur et en poussant des cris (en arabe en plus, je vous laisse imaginer…). Mon père:

« Tu vois, Tata Fatim, quand elle était jeune c’était la plus belle du quartier. Les garçons se bousculaient pour la demander en mariage!

-Mais papa j’ai peur moi! Elle n’a plus qu’un oeil, elle sent comme les vieilles merguez et elle veut tout le temps me faire des bisous! »

C’était une vieille folle par dessus le marché, elle conseillait aux gens de soigner les brûlures avec du dentifrice…

Le point commun, c’est que tous ces vieux machins ont un jour eu une stature, une image, et ont imposé le respect avant de se légumifier lamentablement et de ne plus rien représenter aux yeux des gens qui ne les connaissent pas. Et c’est aussi ce qui en train d’arriver au Jacquot. Comment expliquera t-on au gosses de 5 ans qui est ce vieillard ventripotent qui caresse des vaches? Comment leur dira t-on que le bonhomme à la télé qui ressemble au sac à vin qui hante le PMU où papa va faire son tiercé a un jour été l’homme qui a dit non aux américains et qui nous a empêché de nous embourber dans une guerre perdue d’avance? Comment pourra t-on leur prouver que le monsieur qui accompagne le rouleau de PQ était en son temps un des plus grand requins de la classe politique? On ne pourra pas. Tout ce qui restera dans leur tête, c’est cette déchéance.

Et merde, je viens de m’apercevoir qu’on allait tous vers le potager! Bah, au moins ça me filera une excuses pour emmerder ces sales cons de jeune…